En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies pour vous proposer une navigation simplifiée et la réalisation de statistiques de visites. Politique de confidentialité en bas de page. En savoir plus.

Les interactions écologiques entre espèces

Figuet S. 2013. Connaissances du monde scientifique : Franck COURCHAMP, un scientifique au service de la biodiversité : 5-9.

Rédacteur : S. Figuet

L’invasion des écosystèmes par des espèces exotiques est considérée comme l’une des principales sources de la perte de la biodiversité. Les îles sont les premières touchées par ce phénomène en raison de l’évolution particulière des espèces insulaires. En effet, en l’absence de prédateur, de compétition forte ou de parasitisme, ces espèces sont très sensibles à l’introduction et à la propagation d’une nouvelle espèce (Courchamp et al. 2003).

Face aux conséquences que peuvent entraîner les invasions biologiques, de plus en plus d’études sont réalisées pour permettre une meilleure compréhension des dynamiques des populations lors d’une invasion d’un écosystème par une espèce introduite. C’est dans cette optique et avec une volonté de donner toutes leurs chances aux programmes de contrôle et de restauration des écosystèmes que s’inscrivent les travaux de nombreux chercheurs. Exemple des recherches de Franck Courchamp :

La complexité des interactions entre espèces, un « problème » pour les programmes de conservation : « La meilleure solution pour éviter les invasions biologiques est d’empêcher les espèces invasives d’entrer dans les écosystèmes et d’agir le plus vite possible avant qu’elles ne s’y implantent et ne tissent un réseau de relations avec les autres espèces. Une fois le réseau établi, il peut devenir dangereux de les enlever, car elles ont pu permettre le maintien d’autres espèces invasives à faible densité » (Franck Courchamp, France inter). En effet, éradiquer l’espèce invasive n’est pas toujours la meilleure solution, cela peut même aggraver la situation en accroissant le déséquilibre existant du fait des interactions entre espèces introduites. Franck Courchamp s’est intéressé à ces phénomènes et a permis une meilleure compréhension de la complexité de ces interactions et du rôle que joue chaque espèce au sein de ce réseau. Trois études en particulier illustrent cela et montrent des relations que nous n’aurions pu imaginer.

 

i. Quand les cochons menacent les renards

Sur une île de Californie, les populations d’une espèce de renard nain avaient décliné de 90 à 95 % en seulement 10 ans (Roemer et al. 2002). Afin de comprendre quelles étaient les causes de cette diminution, Franck Courchamp et ses collaborateurs se sont tout d’abord demandé de quoi mourraient les renards nains. Ils soupçonnèrent d’abord la mouffette tachetée, une autre espèce endémique de l’île en compétition avec le renard qui présentait une augmentation démographique. Cependant, celle-ci fut mise hors de cause. Après de nombreuses années de recherches, la conclusion fut que les renards étaient chassés par l’aigle royal. Or, pour causer un effondrement aussi important de ces populations, il faudrait un nombre très important d’aigles que la faible quantité de renards sur l’île n’arrivait pas à expliquer à elle seule. Les scientifiques essayèrent alors de déterminer ce qui permettait aux aigles de s’établir sur ces territoires. Et ce fut finalement une espèce que l’on n’avait jusqu’alors pas soupçonnée qui fut mise en cause : un cochon introduit par l’homme quelques années auparavant et qui représentait une source abondante de nourriture pour l’aigle.

Les modèles et les simulations réalisés prédisent en effet, qu’en l’absence de cochons, les populations de renards et de moufettes ne sont pas suffisantes pour permettre l’établissement de l’aigle royal (Figure 1a). En revanche, lorsque l’on a introduit les cochons, les aigles royaux ont put s’établir et leur augmentation coïncide avec la chute des populations de renards nains et avec l’augmentation des moufettes, celles-ci n’ayant plus de compétiteurs pour la nourriture (Figure 1b).

Le renard peut donc être considéré comme une proie secondaire des aigles. La population de ces derniers ayant fortement augmenté grâce à l’introduction des cochons, les renards ont subit un taux de prédation plus important et leur population a alors été menacée d’extinction. Ainsi, deux espèces complètement différentes et sans lien apparent peuvent en fait être liées et influencer fortement l’autre. Agir sur l’une d’entre elles peut ainsi perturber l’ensemble des interactions entre espèces au sein d’un écosystème voire la composition et le fonctionnement de ce dernier. L’étude de Franck Courchamp et ses collaborateurs ont permit d’identifier la source du déclin des populations de renards et de les protéger plus efficacement.

 

ii. Quand les chats protègent les oiseaux

L’éradication d’une espèce invasive peut conduire à une aggravation de la situation. Franck Courchamp et son équipe ont notamment mis en évidence un phénomène particulier ; la relâche des mésoprédateurs (Courchamp et al. 1999).
Dans certains écosystèmes, l’élimination du prédateur introduit ne permet pas la reconstruction de la population de proie endémique. Cela peut s’expliquer par l’introduction d’un mésoprédateur sur l’île. Ce dernier est prédaté par les superprédateurs mais se nourrit aussi des mêmes petites proies qu’eux. Les superprédateurs régulent donc les populations du mésoprédateur. Les éliminer peut donc conduire à l’augmentation spectaculaire des mésoprédateurs qui peuvent alors entrainer l’extinction rapide de leur proie (Soulé et al. 1988).
Franck Courchamp a notamment étudié le cas d’un tel système regroupant trois espèces : les oiseaux (proies), les rats (mésoprédateurs) et les chats (superprédateurs). Afin de mieux comprendre le rôle de chacun, il est important de rappeler leurs caractéristiques principales. Tout d’abord, les rats ont des impacts très négatifs sur de nombreuses espèces dont les oiseaux, que ce soient des interactions indirectes (compétitions pour la nourriture, l’habitat…) ou directes (prédation des oeufs, des poussins, des juvéniles et parfois même des oiseaux adultes). Les chats, eux, représentent la principale menace pour de nombreuses espèces d’oiseaux insulaires mais sont aussi des prédateurs opportunistes. Cela signifie qu’ils se nourrissent des proies qu’ils trouvent : il a été montré qu’en présence de mammifères et d’oiseaux, leur régime sera principalement constitué de mammifères (Nogales et Medina 1996). Ainsi, les chats peuvent jouer un rôle primordial dans le maintien à faible niveau des populations de rongeurs. L’éradication des populations de chats risque donc de supprimer ce contrôle sur les rats et de permettre l’expansion de ces derniers. Or, ceux-ci ont un taux de prédation sur les oiseaux moins important que celui des chats mais, plus nombreux, ils peuvent alors avoir des conséquences désastreuses sur les populations d’oiseaux.

A l’aide d’un modèle mathématique décrivant ce système à trois espèces, Franck Courchamp a mis en évidence l’existence de ce phénomène de relâche des mésoprédateurs.
En effet, on constate qu’en présence du super prédateur, la population des proies diminue avec l’introduction du chat, se stabilise jusqu’à atteindre un certain équilibre entre les deux populations (Figure 3a). Au contraire, en présence du seul mésoprédateur, les populations de proies sont menacées d’extinction (Figure 3b). En revanche, lorsque les trois espèces sont présentes, la population d’oiseaux est stable et les rats sont maintenus à un faible niveau par les superprédateurs.

 

En somme, la présence d’un superprédateur peut avoir un effet relativement positif dans les écosystèmes insulaires où un mésoprédateur a été introduit ; son éradication pouvant au contraire être critique pour les proies endémiques. Ainsi, Franck Courchamp met en évidence l’importance qu’il y a à prendre en compte la présence d’autres espèces étrangères lors de la mise en place de programmes de contrôle pour une espèce introduite. Il insiste également sur cette idée nouvelle que les superprédateurs peuvent être bénéfiques aux populations de proies. Ses travaux sont donc d’une grande importance puisqu’ils donnent de nouvelles pistes quant à la gestion des espèces invasives.

 

iii. Quand les lapins menacent les oiseaux

Franck Courchamp et son équipe ont également étudié un autre phénomène, le processus d’hyperprédation (Courchamp et al, 2000).
Il est aujourd’hui connu que les lapins qui ont été introduits sur plus de 800 îles causent de très nombreux dommages dans les écosystèmes qu’ils colonisent en particulier par la destruction du couvert végétal. Mais comment ces espèces peuvent-elles être la cause de l’extinction d’oiseaux ou de nombreux autres petits vertébrés ?
La réponse à cette question se trouve dans l’article de Franck Courchamp et de son équipe (Courchamp et al, 2000). A l’aide de modèles mathématiques, couplant les dynamiques de trois populations : une proie indigène (oiseaux), une proie introduite (lapins) et un prédateur introduit (chats), ils ont montré que les lapins peuvent avoir des effets complexes sur les populations endémiques car ils représentent eux-mêmes des proies pour d’autres espèces introduites.
Nous remarquons en effet que les populations de chats et d’oiseaux réunis sur un même territoire peuvent atteindre un certain équilibre (Figure 4a). De plus, on observe que les lapins permettent une augmentation plus importante des populations de chats avant leurs stabilisations (Figure 4b). En revanche, lorsque les trois espèces sont présentes, les lapins permettent une augmentation des populations de chats suffisante pour que ces derniers constituent un risque majeur pour les oiseaux (Figure 4c).

Ainsi, les populations de lapins étant les proies des chats, elles leur permettent de subsister pendant l’hiver et d’augmenter alors leur taux de prédation sur les populations d’oiseaux. De plus, les espèces insulaires ont évolué loin de toute prédation et compétition. Elles n’ont donc pas développé d’adaptation anti-prédation au niveau de leurs traits d’histoire de vie (comme la reproduction) ou de leur comportement (camouflage, fuite…) ce qui les rend davantage vulnérables aux prédateurs.
Franck Courchamp et son équipe ont permis de vérifier l’existence de ce processus d’hyperprédation qui est d’une grande importance pour la conservation des populations indigènes mais qui n’avait jamais fait l’objet d’études scientifiques. Ainsi, l’introduction d’espèces de proies mieux adaptées à la prédation (lapin) peut causer le déclin des populations de proies initialement présentes (oiseaux) dans l’écosystème avec un prédateur introduit (chat).
Franck Courchamp montre donc qu’il est indispensable de tenir compte de ce phénomène d’hyperprédation dans les programmes de biologie de la conservation et de prêter davantage d’attention aux effets indirects qui peuvent survenir lorsque l’on manipule des systèmes proies/ prédateurs.

Conclusion
Ces études illustrent bien la complexité des interactions entre espèces et les difficultés rencontrées par les gestionnaires. Les travaux menés par Franck Courchamp sont très importants car ils insistent sur le fait que des études approfondies sont indispensables et qu’une éradication ne peut être envisagée qu’à la seule condition que cela engendre davantage de bénéfices que de désavantages pour l’écosystème : pour protéger une espèce ou un écosystème, il faut avant tout connaître le rapport des espèces entre elles et déterminer le déséquilibre qui pourrait être créé par les actions de protection. Elles lui ont permis de se faire connaître parmi les chercheurs étudiant les invasions biologiques en décrivant de nouveaux mécanismes de dynamiques de populations et en donnant de nouvelles pistes quant à la gestion des écosystèmes envahis. L’importance de ces travaux est vérifiée par le nombre important d’études qui les reprennent. Ces travaux ont donc permis des avancées importantes dans la compréhension des processus complexes qui existent lors d’invasions biologiques et ont donné de nouveaux outils aux gestionnaires pour leurs programmes de sauvegarde.


Références bibliographiques
Courchamp, F. et al. 1999. Cats protecting birds: modelling the mesopredator release effect. J. Anim. Ecol. 68, 282–292
Courchamp, F. et al. 2000. Rabbits killing birds: modelling the hyperpredation process. J. Anim. Ecol. 69, 154–164.
Nogales, M. et Medina, F.M. 1996. A review of the diet of ferla domestic cats (Felis silvestris f. catus) on the Canary Islands, with new data from the laurel forest of La Gomera. Zeitschrift für Säugetierkunde, 61, 1-6.
Roemer, G., Donlan, J. et Courchamp, F. 2002. Golden eagles, feral pigs and insular carnivores : how exotic species turn native predators into prey. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 99(2): 791-796.
Smith, A. P. et Quin, D. G. 1996. Patterns and causes of extinction and decline in Australian conilurine rodents. Biological Conservation. 77, 243–267.
Soulé, M. E., Bolger, D. T., Alberts, A. C., Wrights, J., Sorice, M., et Hill, S. 1988. Reconstructed dynamics of rapid extinctions of chaparral-requiring birds in urban habitat islands. Conservation Biology, 2(1), 75-92.